Le mythe du "bon déchet" : Pourquoi le papier est souvent sous-estimé

 Le papier bénéficie d'une image positive, et ce pour de bonnes raisons : il est fabriqué à partir de fibres végétales renouvelables et peut être recyclé plusieurs fois. Cette perception, bien que fondée sur des faits, tend à occulter la réalité de son cycle de vie et de son impact environnemental et économique quand il est surconsommé et gaspillé :

- Biodégradabilité et Ressources : Certes, le papier se dégrade plus vite que le plastique. Mais cela ne signifie pas que sa production est sans conséquence. Chaque feuille de papier gaspillée représente une consommation d'arbres, d'eau et d'énergie qui n'est pas "compensée" par une biodégradabilité rapide.
- Le recyclage n'est pas une solution miracle : Bien que le recyclage soit essentiel, il ne peut pas compenser un gaspillage excessif. Le processus de recyclage lui-même consomme de l'énergie et de l'eau, et les fibres de papier ne peuvent être recyclées qu'un nombre limité de fois avant de se dégrader et de devenir inutilisables. De plus, pour que le recyclage soit efficace, il faut que le papier soit trié et collecté correctement, ce qui est loin d'être le cas, notamment en Algérie où le taux de récupération est très faible.
- Le contraste visuel : Un sac plastique jeté est une image forte de pollution. Un cahier à moitié rempli jeté à la poubelle, ou des piles de photocopies inutiles, sont moins choquants visuellement, mais leur impact environnemental cumulé est immense.

Les conséquences non-négligeables du gaspillage de papier

Le fait de reléguer le papier dans la catégorie des "bons déchets" et de minimiser son gaspillage conduit à des répercussions graves, souvent invisibles à première vue :

- Déforestation et perte de biodiversité : La demande mondiale en papier est colossale, et même si une partie provient de forêts gérées durablement, une consommation excessive contribue à la pression sur les écosystèmes forestiers. Moins d'arbres, c'est moins de puits de carbone, moins d'habitats pour la faune, et une accélération du changement climatique.
- Consommation excessive d'eau : La fabrication de papier est très gourmande en eau. Chaque feuille que nous gaspillons représente des litres d'eau virtuels qui auraient pu être économisés. Dans des régions comme l'Algérie, déjà confrontées au stress hydrique, cet aspect est particulièrement critique.
- Émissions de gaz à effet de serre : De la coupe des arbres au transport des grumes, en passant par les processus industriels de transformation de la pâte à papier, l'énergie est omniprésente. Cette énergie provient souvent de sources fossiles, libérant ainsi du CO2 et contribuant au réchauffement climatique.
- Coût économique : L'Algérie dépend fortement de l'importation de papier. Chaque tonne de papier gaspillée est un coût financier direct pour l'État et les citoyens, une somme qui pourrait être allouée à d'autres besoins plus essentiels.
- Accumulation des déchets et défis de gestion : Même si le papier est biodégradable, les quantités astronomiques de papier jeté nécessitent des infrastructures de collecte et de traitement. Sans un recyclage efficace, cela engorge les décharges, génère du méthane (un puissant gaz à effet de serre lors de la décomposition en milieu anaérobie) et représente un défi logistique et environnemental pour les communes.

Changer de regard : Le papier, un "déchet" à prévenir

Il est impératif de déconstruire l'idée que le papier est un "bon déchet" et de le considérer plutôt comme une ressource précieuse dont il faut minimiser le gaspillage à la source. L'objectif n'est pas de diaboliser le papier, mais de promouvoir une consommation responsable et une gestion circulaire de cette ressource. L'accent doit être mis sur la prévention du gaspillage avant même de parler de recyclage. Cela implique :

+Réduire : Consommer moins, imprimer moins, privilégier le numérique autant que possible.

+Réutiliser : Donner une seconde vie au papier (brouillons, emballages...).

+Recycler : Mettre en place des systèmes de tri et de collecte efficaces pour que le papier puisse être valorisé et réintroduit dans le cycle de production.

En milieu scolaire algérien, où la consommation de papier est traditionnellement très élevée, cette prise de conscience est d'autant plus urgente. En remettant en question la bonne réputation du papier dans la catégorie "bon déchet", nous pouvons sensibiliser les élèves et le personnel à l'impact réel de leurs habitudes, et ainsi catalyser un changement profond vers une gestion plus durable des ressources.

Le marché du papier en Algérie :

Le marché du papier en Algérie est principalement dépendant des importations, car la production locale est limitée. Les importations de papier concernent principalement le papier d'impression, le papier d'emballage et le papier hygiénique. Les coûts et la consommation varient en fonction des fluctuations des prix internationaux, des taux de change et des politiques commerciales locales, telles que les restrictions ou les taxes sur les importations.

Importations de papier :

En 2020, l'Algérie a importé environ 1,2 million de tonnes de papier pour une valeur de 400 millions d'euros (environ 60 milliards de dinars algériens, selon le taux de change de l'époque).

Bien que ces chiffres puissent varier d'une année à l'autre en fonction des prix internationaux et de la demande, ils donnent une indication de l'ampleur des dépenses nationales en papier. Les prix du papier ont connu des flambées sur le marché international ces dernières années, ce qui impacte directement le coût des importations.

On estime que le marché algérien du papier importait environ 350 000 tonnes de papier annuellement rien que pour une catégorie de papier (celui qui est 100% recyclé pour l'emballage) en 2019. Cela suggère une consommation globale bien plus élevée.

Consommation par habitant (estimation) :

Bien quil est difficile d'avoir des chiffres précis pour la consommation papier, mais une estimation datant de 2013 mentionnait une consommation de plus de 570 000 tonnes de papier par an. Si l'on extrapole avec la croissance démographique et économique, ce chiffre est probablement plus élevé aujourd'hui.

Dans de nombreux pays, la consommation de papier par habitant peut varier considérablement, mais si l'on prend une moyenne basse de consommation de papier par habitant dans des pays comparables, on peut estimer une consommation annuelle de plusieurs dizaines de kilogrammes par personne, ce qui, multiplié par la population algérienne (environ 45 millions d'habitants), confirme une consommation de plusieurs centaines de milliers de tonnes par an.

Coût pour le secteur scolaire (estimation) :

Le secteur scolaire représente une part significative de cette consommation. Si l'on considère le nombre d'élèves (environ 11 millions dans les trois cycles en 2023-2024) et le personnel enseignant et administratif, les dépenses en cahiers, manuels, feuilles d'examen, et documents administratifs sont colossales.

On peut estimer que le coût annuel du papier pour le système éducatif algérien se situe dans les dizaines de milliards de dinars. Ce montant inclut l'achat de papier pour les manuels scolaires (souvent renouvelés ou complétés), les cahiers des millions d'élèves, les rames de papier pour les impressions des enseignants et de l'administration, et les supports d'examens.

Même un gaspillage minimal  de 10 à 20% de ce papier représente des milliards de dinars perdus chaque année.

Le potentiel de recyclage : Un manque à gagner énorme

Un autre chiffre important à considérer est le potentiel de récupération et de recyclage du papier usagé. 

Le potentiel national de récupération de papier usagé a été estimé à 500 000 tonnes par an. Cependant, en 2020, seulement 50 000 tonnes étaient réellement récupérées pour être réutilisées dans l'industrie de l'emballage.

Cela signifie que près de 450 000 tonnes de papier par an sont jetées et non valorisées, alors qu'elles pourraient réduire la dépendance aux importations et générer de la valeur ajoutée.

L'investissement nécessaire pour créer une industrie papetière locale capable de recycler ce papier est estimé entre 300 et 350 millions d'euros, ce qui pourrait à terme réduire la facture des importations.

Ces chiffres, bien qu'estimatifs pour certains, soulignent l'ampleur financière et environnementale du problème du papier en Algérie et l'urgence d'adopter des politiques de réduction et de recyclage plus efficaces, en particulier dans les établissements scolaires qui sont de gros consommateurs.

Face au gaspillage alarmant de papier dans nos écoles algériennes, il est urgent de prendre des mesures. Ce phénomène, souvent sous-estimé, a des conséquences économiques et environnementales non négligeables. Il est temps de sensibiliser, d'analyser les causes et de proposer des solutions concrètes pour une gestion plus durable de nos ressources.

 Des chiffres qui interpellent

Le gaspillage de papier en milieu scolaire en Algérie représente un coût financier considérable pour l'État et les familles. Bien qu'il n'existe pas de chiffres officiels spécifiques à l'Algérie sur le gaspillage de papier scolaire, nous pouvons nous baser sur des estimations globales et des observations locales :

- Coût d'acquisition : Chaque année, des millions de cahiers, manuels et rames de papier sont achetés pour les établissements scolaires. Une partie non négligeable de ces fournitures est gaspillée avant même d'être pleinement utilisée. Si l'on considère le budget annuel alloué aux fournitures scolaires, même un petit pourcentage de gaspillage se traduit par des millions de dinars perdus.

- Impact environnemental : La production de papier est une industrie gourmande en ressources naturelles. Pour chaque tonne de papier produite, il faut environ 17 arbres, 26 000 litres d'eau et une quantité importante d'énergie. Le gaspillage de papier en Algérie contribue donc à la déforestation, à la consommation excessive d'eau et aux émissions de gaz à effet de serre.

>>Exemple concret : Imaginez une classe de 30 élèves. Si chaque élève gaspille en moyenne 5 cahiers par an (pages arrachées, non remplies, cahiers jetés en fin d'année alors que la moitié est vide), cela représente 150 cahiers gaspillés par classe. Multipliez ce chiffre par le nombre d'écoles et de classes à travers le pays, et l'ampleur du problème devient flagrante.

Les causes du gaspillage : Un problème multifactoriel

Plusieurs facteurs contribuent au gaspillage de papier dans les écoles  :

- Manque de sensibilisation : Souvent, les élèves, les enseignants et même le personnel administratif ne sont pas pleinement conscients de l'impact de leur consommation de papier. Le papier est perçu comme une ressource inépuisable et bon marché.

- Méthodes d'enseignement traditionnelles : L'accent mis sur la copie manuelle, l'impression systématique de documents (exercices, fiches, évaluations) sans réel besoin, et le manque d'utilisation des outils numériques favorisent la consommation excessive de papier.

- Habitudes des élèves : Les pages arrachées, les dessins sur les cahiers, le manque d'organisation qui conduit à l'achat de nouveaux cahiers alors que les anciens sont encore utilisables, contribuent au gaspillage.

- Absence de politiques de recyclage : La quasi-absence de bacs de tri et de systèmes de collecte de papier usagé dans la majorité des établissements scolaires algériens signifie que le papier est systématiquement jeté avec les autres déchets.

- Gestion des fournitures : Une mauvaise gestion des stocks de papier dans les établissements peut entraîner des surplus ou des commandes inutiles.

Des alternatives et des solutions : Pour une école plus durable

Il est possible de réduire significativement le gaspillage de papier grâce à des actions simples et concertées :

Sensibilisation et éducation :

>Campagnes de sensibilisation : Organiser des ateliers et des journées de sensibilisation sur l'importance de la réduction du gaspillage de papier et ses conséquences environnementales et économiques, en impliquant élèves, enseignants et parents.
>Intégration au programme : Inclure des modules sur l'écocitoyenneté et la gestion durable des ressources dans les programmes scolaires.
>Affichage : Mettre en place des affiches rappelant les bonnes pratiques d'utilisation du papier dans les salles de classe et les bureaux.

Adoption de pratiques éco-responsables :

>Utilisation recto-verso : Encourager l'impression recto-verso pour tous les documents (exercices, copies de cours, évaluations).
>Réutilisation des brouillons : Inciter à utiliser le verso des feuilles déjà imprimées comme brouillon.
>Numérisation des documents : Favoriser l'utilisation des outils numériques (tablettes, ordinateurs, tableaux interactifs) pour la diffusion des cours, des exercices et des évaluations, réduisant ainsi le besoin d'impression.
>Cahiers de brouillon uniques : Encourager l'utilisation d'un seul cahier de brouillon pour toutes les matières, plutôt que des feuilles volantes.
>Limiter les photocopies inutiles : Réfléchir à la pertinence de chaque impression.

Mise en place de systèmes de recyclage :

>Bacs de tri : Installer des bacs de tri dédiés au papier dans chaque salle de classe, les couloirs et les bureaux.
>Partenariats : Établir des partenariats avec des entreprises de recyclage locales pour la collecte régulière du papier usagé.
>Collectes thématiques : Organiser des journées de collecte de vieux papiers dans les écoles pour impliquer davantage les élèves et les familles.

Promotion des outils numériques :

>Plateformes d'apprentissage en ligne : Développer et utiliser des plateformes d'apprentissage en ligne pour le partage de ressources, la soumission de devoirs et la communication, réduisant ainsi la dépendance au papier.
>Manuels numériques : Étudier la possibilité d'adopter des manuels scolaires numériques, en tout ou en partie.

Le gaspillage de papier en milieu scolaire algérien est un défi majeur, mais surmontable. En adoptant une approche holistique qui combine sensibilisation, changement des habitudes et mise en place d'infrastructures de recyclage, nos écoles peuvent devenir des exemples de gestion durable des ressources. C'est un investissement pour notre environnement et pour l'avenir de nos enfants.

Réagissez avec nous :

- Comment pourrions-nous changer concrètement la perception du papier comme étant « bon déchet » chez les jeunes générations ?

- Quelles mesures concrètes pourriez-vous suggérer de mettre en place dans les écoles pour réduire le gaspillage de papier ?


A lire :

Comment le papier et le carton sont-ils recyclés ?

400 millions d’euros d’importations de papier en 2020 par l’Algérie : En attendant la révolution numérique…

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